Franck Montaugé

Sénateur du Gers

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Évaluation des politiques publiques : la vision du sénateur du Gers exposée au Conseil d’Etat

Publié le 2 mars 2020

Le Conseil d’État est la plus haute juridiction administrative française. Il conseille aussi le Gouvernement, l’Assemblée nationale et le Sénat dans l’élaboration de la loi. Chaque année, sa section du “Rapport et des Etudes” approfondit un sujet d’enjeu national en donnant aux acteurs divers concernés la parole dans le cadre d’un cycle de conférences. Pour 2019-2020, c’est le thème de l’évaluation des politiques publiques qui a été choisi. Identifié par le Conseil d’Etat pour ses travaux législatifs de 2015 et 2018 traitant de ce sujet, le sénateur du Gers, Franck Montaugé, a été invité, vendredi 28 février, pour la conférence intitulée “Les acteurs de l’évaluation des politiques publiques”. Voici le texte intégral de son intervention:

M. le vice-président du Conseil d’Etat, M. le président de la Haute Autorité pour la Transparence de la Vie publique, M. le président du Conseil économique, social et environnemental, mesdames et messieurs,

La première fois que je suis venu au Conseil d’Etat, c’était le 20 juin dernier avec la commission des Affaires économiques. Je garde un souvenir très vif des échanges que nous, sénateurs, avons pu avoir avec les conseillers qui nous ont présenté leur travail. Et j’ai vécu un moment exceptionnel à l’écoute des échanges et délibérations que les conseillers d’État ont eu ce matin-là en assemblée générale à propos des projets de lois constitutionnel et organique que le gouvernement venait alors de soumettre pour avis. La rigueur intellectuelle, la clarté et même la pédagogie des expressions, et plus encore la liberté de ton que j’ai alors perçus m’ont conforté dans l’idée qui est la mienne, d’un Conseil d’Etat partie prenante si ce n’est clé de voûte de la République et de l’Etat de droit qui lui est consubstantiel. Je ne vous cacherai pas non plus que je suis friand de vos rapports d’études et je salue les travaux de la section que préside Mme de Boisdeffre. Alors merci, Monsieur le vice-président, de votre invitation à participer à cette table ronde.

C’est un grand honneur pour moi de pouvoir contribuer ce matin à la réflexion du Conseil d’État sur l’évaluation des politiques publiques. L’objectif de mon intervention est de vous faire partager le cheminement concret d’un sénateur, peut-être un peu présomptueux, qui s’est évertué à convaincre son institution de poser un autre regard, celui que pourrait avoir le citoyen, sur la fabrique, le suivi et l’évaluation des lois et des politiques publiques. Ma thèse, si tant est que ce mot convienne, est que le Parlement doit s’organiser et s’acculturer, monter en compétence pour assumer utilement, efficacement, la mission d’évaluation des politiques publiques que lui confie l’article 24 de la Constitution de la Ve République. Et qu’il doit le faire en s’ouvrant, en travaillant étroitement avec les spécialistes, les détenteurs de la technique et de l’expertise, la Cour des comptes et le Conseil économique, social et environnemental, comme le prévoit la Constitution de la Ve République, des organismes de l’État, l’Université, etc. et aussi, les destinataires des politiques publiques, les citoyens, la société civile, ses forces vives et ses représentations.

A ce stade, Je crois utile de dire ce que j’entends par politique publique et par évaluation. Les politiques publiques sont le lieu où des sociétés définissent leur rapport au monde et à elles-mêmes. Quant à l’évaluation, c’est l’Activité de rassemblement, d’analyse et d’interprétation de l’information concernant la mise en oeuvre et l’impact de mesures visant à agir sur une situation sociale, ainsi que la préparation de mesures nouvelles. Je rajoute que les politiques publiques et leur évaluation constituent un champ de savoir et de recherche à part entière. Et je remarque que cette science de l’État en action est aussi la branche la plus récente de la science politique.

Comme un nouvel arrivant se voit parfois demandé un rapport d’étonnement en arrivant dans une entreprise qu’il ne connaît pas, le récent sénateur que j’étais en 2015 a fait très vite le constat de deux choses :

  1. La faiblesse, l’insuffisance du PIB pour rendre compte de la notion de richesse.
  2. Une activité d’évaluation des politiques publiques réduite à sa portion congrue avec des signes qui ne trompent pas sur le fait que cette activité soit peu considérée: une discussion et un vote trop formel de la loi de règlement qui mobilise très peu de parlementaires; un exercice annuel et systématique au Sénat de suivi de la mise en oeuvre des lois mais peu d’évaluation des politiques publiques à proprement parler.

En 2015, à partir de l’interrogation menée en 2008 et 2009 sur la crise par la commission « Stieglitz-Sen-Fitoussi », des travaux législatifs ayant abouti à la loi Sas de 2015 sur les nouveaux indicateurs de richesse, et sur la base de nombreuses auditions d’économistes de sociologues de toutes écoles et de représentants de l’Etat, j’ai déposé deux propositions de lois. L’une ordinaire proposant la création d’un “Conseil parlementaire d’évaluation des politiques publiques et du bien-être” et la tenue d’une “conférence annuelle sur les inégalités”, l’autre, organique, visant à améliorer la qualité des études d’impact des projets de loi.

A propos des indicateurs et au-delà du caractère réducteur et partiel, non pas du PIB mais de l’usage et de l’interprétation qui en sont faits dans le champ public, je constate aujourd’hui la faible appétence des Gouvernements qui se succèdent à utiliser cette loi Sas, les indicateurs qu’elle prévoit ainsi que le rapport annuel qui les commente et les met en perspective. Il a fallu relancer pour obtenir le troisième rapport, la parution étant désormais décalée de fait à février, soit après l’examen de la loi de finances et de la loi de financement de la sécurité sociale. Personne en définitive n’y prête sur le fond l’attention qu’il mériterait, média, parlement et donc Gouvernement. Sans parler du citoyen.

Pour mémoire, les nouveaux indicateurs de richesse de la loi Sas sont :

  • le taux d’emploi,
  • l’effort de recherche,
  • l’endettement,
  • l’espérance de vie en bonne santé,
  • la satisfaction dans la vie,
  • les inégalités de revenus,
  • la pauvreté en condition de vie,
  • les sorties précoces du système scolaire,
  • l’empreinte carbone,
  • l’artificialisation des sols.

Pourtant il me semble que de nombreux systèmes d’indicateurs robustes, fiables, explicites et accessibles sont utilisables pour éclairer le débat public. En 2011, l’OCDE s’est dotée d’une démarche du même ordre, intitulée « L’initiative du vivre mieux », dont j’ai noté que le système permettait des pondérations de critères propres à la culture et aux enjeux politiques que se donnent différemment les États membres. Parmi les indicateurs :

  • emplois et salaires,
  • vie professionnelles-vie privée,
  • logement,
  • qualité de l’environnement,
  • état de santé,
  • éducation et compétence,
  • liens sociaux,
  • engagement civique et gouvernance,
  • sécurité personnelle,
  • bien-être subjectif
  • etc.

Celui de l’ONU avec les objectifs de développement durable* dont les indicateurs sont produits et actualisés par l’Insee, qui plus est à différents niveaux, du pays aux collectivités locales, les régions notamment. Dans les édito des troisième et quatrième rapports sur les nouveaux indicateurs de richesse, début 2018 et 2019, le Premier Ministre évoque aussi les 17 objectifs de développement durable du Programme de développement durable de l’ONU à l’horizon 2030 auxquels ont adhéré 193 États. Le Premier Ministre écrit à cette occasion, et je le cite: «Cette dynamique […] a un sens politique profond. […] Il s?agit de savoir ce sur quoi nous fondons collectivement notre appréciation de ce que l’on entend par croissance, développement, bien-être ou progrès.» Et il indique que “les principales réformes engagées par le Gouvernement seront évaluées à l?aune de ces indicateurs”.

*Les ODD de l’ONU

  • Ni pauvreté ni faim,
  • santé et bien-être,
  • éducation,
  • égalité Hommes/Femmes,
  • eau propre et assainissement,
  • énergie propre et abordable,
  • travail décent et croissance économique,
  • industrie innovation et infrastructures,
  • inégalités réduites,
  • villes et communautés durables,
  • consommation et production responsables,
  • lutte contre le changement climatique,
  • vie aquatique,
  • vie terrestre,
  • paix justice et institutions efficaces,
  • partenariats pour la réalisation des objectifs.

Les nouveaux indicateurs de richesse de la loi Sas ne sont pas incompatibles avec ces systèmes internationaux mais je pense qu’il y a un intérêt fort à ce que des comparaisons puissent être faites entre pays et en tendance. Et que le lien puisse être fait aussi avec les engagements internationaux de la France, je pense en disant cela aux engagements souscrits à la Conférence de Paris, dans le cadre de la Cop 21. Je rajoute à cela et ce n’est pas neutre, que pour moi le choix des indicateurs est un acte politique par nature. L’adhésion aux démarches d’évaluation nécessitera que cet aspect soit pris en compte. C’est indéniablement un point de complexité que le débat doit nous permettre d’appréhender. En vertu de quoi je pense aussi qu’il faut accorder une attention particulière aux organismes producteurs d’indicateurs et d’évaluations. C’est cette position que j’ai traduite dans la proposition de loi visant à améliorer les études d’impact, en prévoyant que la liste des organismes, publics ou privés, amenés à produire des études d’impacts soient choisis dans une liste définie par décret pris en Conseil d’État selon des critères d’indépendance et de pluralisme.

Alors pourquoi envisager de créer un Conseil parlementaire d’évaluation des politiques publiques et du bien-être ? Comment le Parlement, dans sa forme bicamérale, de manière si possible objective à défaut d’être consensuelle au plan politique, peut-il produire une information utile pour alimenter le débat public et la pensée politique ? On comprend en participant à l'”Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques” – j’ai eu cette chance–, que le champ du savoir scientifique et technique permet plus facilement cette production objective mais même ce domaine de connaissances peut donner lieu, en fonction des sujets, à des partis pris, des options qui relèvent du subjectif. La méthode scientifique ne garantit pas le savoir absolu et ce qui est reconnu comme vrai un jour ne l’est pas forcément pour toujours. A partir de là, je crois qu’il faut se lancer et donner au Conseil parlementaire d’évaluation des politiques publiques et du bien-être les moyens d’une approche la plus scientifique possible, en ayant conscience que dans les domaines de l’économie, de la sociologie, des sciences humaines, le débat public peut et doit se nourrir d’approches différentes parce que fondées sur des présupposés de valeurs différentes, et c’est aussi le lieu et la matière de la politique. La diversité de pensée, d’approche, dans le respect des positions des uns et des autres, doit être possible. Nous devons nous y efforcer en tant que citoyens. Le conseil scientifique que mon texte a prévu d’adjoindre au Conseil parlementaire d’évaluation des politiques publiques et du bien-être a vocation à refléter cette diversité. Tout en restant dans le sujet, j’ouvre une parenthèse. L’école française d’économie hétérodoxe mériterait la création d’une section au sein du conseil national des universités. Et la question d’une nouvelle section de ce type au CNRS est tout aussi pertinente.

Deux mots sur la notion de bien-être. Elle n’est pas anodine dans l’intitulé et elle a vocation à poser la question du sens, de la signification aussi de l’action publique, du point de vue de la société et de ses différentes composantes. Lors de la conférence inaugurale de vos travaux, j’étais intervenu pour dire que la notion de politique publique méritait d’être interrogée, qu’elle n’allait peut-être pas de soi et que l’objet politique publique donnait lieu à un savoir universitaire très riche digne du plus grand intérêt. Je crois d’ailleurs avoir cité à cette occasion les travaux de Pierre Muller qui m’ont éclairé le sujet. Pierre Muller a introduit la distinction entre « global et sectoriel » dans le champ des politiques publiques. Si je l’ai bien compris, ce point plaide pour un croisement, une prise en compte des effets des lois dans les champs publics qu’elles affectent, qu’elles impactent comme on dit.

Pour que les évaluations soient utiles, je ne crois donc pas qu’on puisse les mener, en tout cas exclusivement, dans le cadre des commissions permanentes des chambres parlementaires. Par extension, je pense qu’une structure parlementaire commune du type de celle que j’ai proposée serait plus appropriée aux objectifs recherchés. Après discussion, la majorité sénatoriale a renvoyé mon texte en commission des lois. Il a été repris partiellement pour in fine introduire dans le règlement du Sénat un dispositif de suivi de la mise en oeuvre des lois confié en commission aux rapporteurs initiaux des textes ou à des rapporteurs nommés à cet effet. Dans cet esprit, la commission des Affaires économiques du Sénat vient de procéder à une évaluation de la loi Egalim. Il s’en est suivi le vote d’une proposition de loi visant à adapter cette loi.

Notre société a changé, le rapport des citoyens aux institutions, à ceux qui les représentent a beaucoup évolué aussi, pouvant aller jusqu’à des éruptions comme avec le mouvement des gilets jaunes. Une évaluation de la traduction et de la perception des politiques publiques par nos concitoyens qui se sont mobilisés à cette occasion aurait-elle été de nature à éviter ce qui s’est passé ? Quels enseignements peut-on tirer de cet événement politique d’ampleur pour le sujet qui nous intéresse ce matin ? Je ne vais pas répondre à ces questions mais je crois qu’une approche globale et sectorielle, structurée et menée en continuité dans le temps, doit être développée pour appréhender les dimensions économique, sociale, environnementale et culturelle de ce fait politique. L’ensemble des acteurs de la société doit y contribuer si ce n’est y participer. Et je ne vois pas a priori comme une menace l’expérience que constitue la Convention citoyenne pour le climat si la coopération avec le Parlement et les corps intermédiaires est recherchée et instituée. Le moment venu, il faudra analyser ce qu’a produit cette convention et les conditions de cette production. Le pouvoir d’agir sur la société s’accroît-il par la pluralité des acteurs ? Question pour notre temps qu’abordait Hannah Arendt dans sa « Condition de l’homme moderne ».

En guise de conclusion, l’article 24 de la Constitution de la Ve République donne explicitement au Parlement la mission d’évaluer les politiques publiques. Les missions d’enquêtes, les rapports d’information y concourent, les études d’impact abordent le sujet mais aucune démarche ou organisation, propre à chaque chambre ou qui leur serait commune, ne me semble aujourd’hui à la hauteur des enjeux, d’une part. Et disant cela, je salue la démarche du « printemps de l’évaluation » que développe l’Assemblée nationale dans le cadre de son règlement et que vous a présenté ici M. Barrot. D’autre part, si tous les acteurs de la société sont concernés de manière générale au titre de la citoyenneté, ils le sont aussi en tant qu’acteurs et sujets de politiques publiques sectorielles, spécifiques à tel ou tel champ de la société.

Nous sommes, nous législateurs élus, particulièrement impliqués dans nos missions, mais nous ne pouvons pas travailler en vase clos, fut-ce avec des conseillers de très haut niveau, comme c’est le cas au Sénat. Au-delà de l’appréciation personnelle que chacun d’entre nous porte sur son expérience parlementaire, la question de l’efficacité, si ce n’est de l’efficience, de notre action collective et de notre contribution aux évolutions de la société française est posée dans le débat public. Réformer les institutions doit aussi répondre à cette nécessité mais pour ce qui est de l’évaluation des politiques publiques la question de fond, pour moi, est de savoir comment nous nous y prenons pour engager le Parlement effectivement, concrètement, dans cette voie. Pour moi, la réponse est peut-être plus encore organisationnelle qu’institutionnelle. Ma conviction est qu’en travaillant en lien avec les institutions spécialisées et le monde académique compétent sur ces sujets, en nous appuyant également sur les compétences et l’expertise remarquable des administrations de nos deux chambres, nous pourrions, nous parlementaires, beaucoup mieux remplir le rôle que nous a donné le Constituant en matière de contrôle et d’évaluation. L’ensemble des acteurs de la démocratie républicaine française doit aussi pouvoir y prendre part et pour cela, la participation et le dialogue doivent être au fondement de nos propositions.

Francis Ponge disait: «La meilleure façon de servir la République c’est de donner force et tenue au langage.» Merci au Conseil d’État, à son vice-président M. Lasserre et à tous ses membres, de contribuer par ces échanges producteurs de langage et de sens, à la restauration de la confiance si nécessaire à nos démocraties.

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