
Ce mercredi 1er octobre la 28ème édition du festival Ciné32 « Indépendance(s) et Création » s’ouvrait à Auch. Lors de l’inauguration, le sénateur Franck Montaugé est intervenu pour rendre hommage à Ciné32 pour sa contribution à la vie intellectuelle, culturelle et éducative gersoise.
Retrouvez, ci-après, le discours prononcé :
Monsieur le préfet, Mesdames et messieurs les élus en vos grades et qualités, Monsieur le Président de Ciné32, cher Alain, Madame la directrice de Ciné32, chère Sylvie, Mesdames et Messieurs les membres du Conseil d’administration de Ciné32, Mesdames et Messieurs les bénévoles et salariés de Ciné32, Monsieur le président de l’AFCAE, Mesdames et Messieurs les artistes qui nous font l’honneur de leur présence, Mesdames et Messieurs,
Cher Alain, chère Sylvie, merci de m’avoir convié à partager avec vous ce moment important de la vie culturelle et intellectuelle gersoise qu’est le festival « Indépendance(s) et création ».
Avec le recul de quelques décennies sur la vie publique locale et départementale, je voudrais vous dire combien je suis attaché à l’œuvre de Ciné32 ! Je suis venu vous dire merci et je voudrais prendre quelques instants pour dire les raisons personnelles de ma gratitude à votre égard.
A Venise on remet des lions, à Berlin des ours, à Cannes des palmes… Ici à Auch, rien de comparable parce qu’on a laissé de côté la compétition et ce qu’elle charrie potentiellement de dysharmonie, pour se concentrer sur l’œuvre et tous ceux qui la servent… au bénéfice premier du spectateur actif, acteur, à son tour, de sa propre réflexion.
Alors mon premier remerciement s’adressera à tous les créateurs – artistes du cinéma, les auteurs, scénaristes, réalisateurs, techniciens, actrices, acteurs, comédiens. Aux organisations et à leurs dirigeants qui permettent et promeuvent la création cinématographique libre comme l’AFCAE (Association française des cinémas d’art et d’essai) ou le groupement des cinémas de recherche.
Sous ses différentes formes d’expression, la Culture est en position de miroir. Par la médiation de l’œuvre, des artistes, elle nous renvoie l’image de notre société. Une image faite de regards, d’émotions, de violence ou d’amour, d’interrogations, d’analyses et d’interprétations.
Une image à questionner, dans son rapport dialectique au Pouvoir ! « Le pouvoir c’est l’image. L’image c’est le pouvoir. ». Cela n’est pas nouveau. Cela a toujours été et dans ce monde dont nous peinons parfois à discerner le devenir, je suis certain d’une chose, c’est que nous n’avons jamais eu autant besoin de Culture et d’accès libre à la création, à l’information, à la réflexion et au débat raisonné.
J’en tire pour ce qui me concerne une conséquence politique. Les budgets de la culture doivent être sanctuarisés. Sur le plan national comme sur le plan local. L’audiovisuel public doit être protégé et même conforté pour que la pluralité des pensées demeure préservée, au moment où les forces politique les plus réactionnaires, ici et ailleurs, ont fait, font ou veulent faire main-basse sur la presse et la liberté d’expression.
Dans quelques jours, le 9 décembre, cela fera 120 ans que la laïcité fait partie des principes fondateurs de la République Française. Les théocraties, les autocraties comme les régimes de post-vérité que certains et pas des moindres veulent nous imposer, doivent nous interroger sur la liberté et la liberté de conscience tout particulièrement.
Alors merci, par votre programmation d’œuvres cinématographiques issues de nombreux pays ou les droits humains élémentaires n’existent pas, de nous ramener à l’essentiel. Alors merci de donner, comme vous le faites, une place publique à tous les combats pour le droit des femmes et des minorités, pour le respect de l’égalité et de la dignité qui sont consubstantiels au genre humain, partout dans le monde. Alors merci, à travers les œuvres et les débats de fond, de donner une place importante à la question contemporaine majeure qu’est la transition écologique, si malmenée sur le plan national comme international.
Le philosophe Jacques Rancière écrit quelque part (1) que « Celui qui voit ne sait pas voir ». Et en réalité, l’allégorie de la caverne de Platon (2) demeure toujours pleine de sens pour nous. Qu’est-ce qu’il y a derrière l’image brute, le récit immédiat ? Quel sens à trouver ? Quelle vérité à construire ?… pour comprendre, analyser, former son propre jugement et agir le cas échéant ! Individuellement et/ou collectivement.
Là où je veux en venir c’est qu’on ne dira jamais assez tout ce que l’on doit à Ciné32, aux générations de bénévoles et de salariés qui se sont succédé, tout ce que l’on vous doit en matière d’éducation de nos enfants à la culture de l’image animée, de formation à la citoyenneté, à l’expression d’une pensée libre, solitaire et solidaire.
Cette conception de la culture, c’est fondamentalement celle de l’éducation populaire. Elle est un bien précieux de la République et à ce titre elle devrait aussi être davantage soutenue dans le budget de l’État français. Tirons-en les conséquences. L’éducation nationale, la culture en général et l’éducation populaire en particulier ne doivent pas être des variables d’ajustement budgétaire.
Par vos choix de programmation d’œuvres qui nous font voir les ténèbres de notre temps et mettent en débat nos politiques publiques, votre démarche est aussi remarquablement contemporaine, dans le sens profond que donne à ce mot Giorgio Agamben (3).
En définitive, je crois que depuis toujours le « spectateur émancipé » est fondamentalement au cœur de l’ambition de Ciné32. Pour cela, vous avez porté dans notre département le septième Art au rang de « commun culturel », comme un élément institutionnel majeur de notre vie sociale.
Alors pour terminer, dans ce monde traversé de crises et de conflits qui nous ramènent au pire de l’histoire de l’humanité, je voudrais faire résonner la parole d’un poète passé de mode, Francis Ponge : « La meilleure façon de servir la République est de donner force et tenue au langage. » (4)
Merci à toutes celles et tous ceux qui ont fait et font Ciné32 de prendre part à ce « grand œuvre républicain » par la force du langage cinématographique libre et créatif !
Merci, bon festival à tous, vive Ciné32 !
(1) Le spectateur émancipé – Jacques Rancière 2008
(2) La République livre 7 – Platon – 550 av JC
(3) Qu’est-ce que le contemporain – Giorgio Agamben 2005 – « Contemporain est celui qui reçoit en plein visage le faisceau de ténèbres qui provient de son temps »
(4) Pour un Malherbe – Francis Ponge 1965