Le sénateur Franck Montaugé est intervenu dans le cadre du débat sur la gouvernance des grands groupes coopératifs agricoles qui s’est tenu le mardi 15 janvier au Sénat. “Ce débat, dit-il, est tout à fait opportun, au moment où le Gouvernement prépare l’ordonnance relative à la coopération agricole que la loi Egalim l’a habilité à prendre contre l’avis largement majoritaire et trans-partisan du Sénat. On sait que ce point a fait dissensus, avec d’autres, lors de la CMP qui n’a pas été conclusive. Nous souhaitions ici pouvoir discuter directement, dans l’écoute de toutes les parties prenantes, du contenu des dispositions envisagées. Nos collègues de l’Union centriste l’ont demandé à partir des difficultés que rencontre en ce moment la coopérative Tereos – premier sucrier de France et n°3 au Brésil – qui enregistre des déficits records du fait de la fin des quotas sucriers, mais aussi de choix financiers à l’international critiqués en interne.” Cette crise a pris une nouvelle ampleur l’été dernier avec la démission de 70 des 73 conseillers de région et l’exclusion de trois coopérateurs membres du conseil d’administration pour avoir été trop critiques à l’égard de la direction. Ces critiques portaient sur la gouvernance défaillante, le manque de transparence régnant au sein de la coopérative, ainsi que sur une politique d’internationalisation inefficace.
“L’article 11 de la loi Egalim habilite donc le Gouvernement à prendre par ordonnance des mesures qui concernent directement la Gouvernance des coopératives. La première de ces mesures (il y en a 8) prévoit de renforcer la lisibilité et la transparence des informations contenues dans les documents transmis aux associés coopérateurs par l’organe chargé de l’administration de la société ou adoptés en assemblée générale, notamment le règlement intérieur, le rapport annuel et le document unique récapitulatif. La deuxième prévoit d’améliorer la lisibilité et la transparence par les associés coopérateurs des modalités de détermination du prix et de la répartition des résultats de la coopérative au travers de l’élaboration de documents appropriés. Les six autres mesures concernent moins la gouvernance.”
“La question majeure que pose le cas Tereos est celle des dérives de certaines grosses coopératives agricoles, notamment au sujet de leur stratégie à l’international et en conséquence le manque de pouvoir des agriculteurs coopérateurs au sein de celles-ci. Au regard de la diminution sensible, ces dernières années, des exportations agricoles et agro-alimentaires françaises, au regard aussi des exigences fortes de la société en matière de qualité sanitaire et d’impact environnemental, la compétitivité du modèle coopératif est un enjeu crucial pour notre pays.”
“Je suis un fervent défenseur de toutes les organisations collectives agricoles permettant d’accroître la valeur pour le producteur et la valeur ajoutée des produits transformés tout en mutualisant les risques de toutes natures, économiques, sanitaires ou environnementaux. Et la modernisation de l’agriculture française doit aussi prendre appui sur ses coopératives, petites et grandes. Je trouve qu’il est précieux, dans un contexte national général où la question de la participation et de la redistribution est posée, que le principe démocratique soit au cœur de la gouvernance des coopératives. Le principe cardinal étant que chaque associé ou sociétaire dispose, sauf dispositions spéciales, d’une voix à l’assemblée générale.”
“Au fil du temps, par nécessité économique autant que par opportunité juridique, la coopération s’est complexifiée et dans certains cas opacifiée dans ses montages sociétaires. Les opérations de rapprochement ou de croissance externe ont modifié la taille et le champ d’activité de nombreuses coopératives. Certaines ont désormais une dimension internationale. Ces adaptations étaient indispensables pour affronter la concurrence sur les marchés mondialisés. Elles le seront encore demain mais elles posent de nouveaux défis en termes d’organisation et de gouvernance. Le point de vue de certains associés s’est éloigné dans certains cas, les conséquences des décisions prises ailleurs pouvant avoir des effets positifs ou négatifs très importants sur la coopérative ou l’union de coopérative d’origine, la maison mère.”
“Pour maîtriser et retrouver de la valeur dans l’acte de production, de transformation et de commercialisation, les agriculteurs doivent dans certaines configurations, pas toutes et c’est heureux, réinvestir les organes de gouvernance. Ils doivent prendre part à toutes les décisions à caractère stratégique qui conditionnent leur propre rémunération dans le moyen mais aussi le long terme. Ces principes pourraient trouver une traduction dans l’ordonnance attendue en prévoyant :
- un pacte stratégique soumis systématiquement au vote des coopérateurs
- un accès facilité des coopérateurs à l’expertise ou à l’audit pour toutes les grandes questions concernant les coûts internes et l’organisation.
- une implication directe des administrateurs de la maison mère dans la gouvernance des filiales.
“Monsieur le Ministre, dans le contexte de la loi Egalim, quelles mesures concrètes envisagez-vous de prendre par ordonnance pour améliorer la transparence interne et la démocratie des sociétés coopératives si importantes pour la rémunération des coopérateurs et la compétitivité de l’agro-alimentaire français ?”
La réponse du ministre
“Lorsqu’on parle des coopératives, il y a deux écueils à éviter : la défiance et la crainte du développement et de la concurrence, a répondu le ministre de l’Agriculture, Didier Guillaume. Depuis l’origine, dit-il, l’esprit reste le même. Chacun est libre d’adhérer ou non. Le système coopératif fonctionne à merveille. Ne jetons pas le bébé avec l’eau du bain ! Les coopératives participent à l’excédent de la balance commerciale. Je suis très fier que six coopératives fassent 11 milliards d’euros de chiffre d’affaires. Elles sont notre fierté, même si l’une d’entre elles a eu des problèmes dans sa gouvernance.”
“Je rends un vibrant hommage aux agriculteurs ayant opté pour le modèle coopératif, poursuit M. Guillaume. C’est un bel exemple de ce que nous pouvons accomplir ensemble. Les coopératives maillent le terrain, contribuant au véritable aménagement du territoire, représentant des emplois non délocalisables. L’ordonnance prévue par la loi Egalim renforcera la transparence et la régulation. Elle sortira très prochainement ; elle est en train d’être présentée à tous les acteurs concernés : l’objectif est qu’elle soit consensuelle. L’ordonnance sur la séparation entre vente et conseil est également en train de tourner afin d’être acceptable par les parties prenantes. Il s’agit d’accompagner le développement d’une agriculture moins consommatrice de produits phyto, en responsabilité, avec les représentants des filières.
“La relation entre un agriculteur et sa coopérative est unique : il en est à la fois le propriétaire, le client, et le fournisseur. Il y en a de toutes petites, pour les produits de niche ; il y en a de plus grosses, qui exportent. L’ordonnance précisera l’article premier de la loi Egalim. Elle proposera un cadre rénové de la contractualisation, traitera de l’information sur les modalités de rémunération, des modalités de sortie de la coopérative, de la répartition entre filiales et société mère.”
“Il faut faire évoluer le HCCA en renforçant ses capacités. Plutôt qu’un gendarme, je préfère qu’il soit un conseiller. Le HCCA contrôlera les statuts de la coopérative, les modalités de fusion ou d’extension territoriale. Les statuts types homologués sont déjà prévus par la loi, inutile de légiférer à nouveau. Le HCCA vérifiera la conformité des textes régissant le fonctionnement et leur application pratique. Ce contrôle existe : il s’agit de la révision. Le HCCA pourra diligenter des contrôles ad hoc et prononcer des sanctions graduées en cas de manquement : courrier d’avertissement, convocation d’une assemblée générale voire saisine du tribunal. Les coopératives et leurs membres font très peu appel au médiateur de la coopération agricole, qui est peu visible. Il sera désormais nommé par décret pris après avis du comité directeur du HCCA. Ses interventions doivent être mieux articulées avec celles du médiateur des relations commerciales agricoles. Une charte éthique et déontologique s’appliquera aux membres du HCCA.”
“Nous ne serions pas allés assez loin ? Nous avons respecté l’habilitation fixée par le Parlement, nous avons beaucoup travaillé avec Coop de France, le HCCA et les organisations professionnelles agricoles. C’est ma méthode : on ne peut pas décider d’en haut, sans en référer au terrain. La loi d’avenir a renforcé la transparence des coopératives en imposant la publication des comptes des filiales. Mais n’allons pas plus loin, au risque de faire croire à tort à des dysfonctionnements ! Avec une rémunération médiane de 14 500 euros par conseil d’administration et par an, la rémunération des administrateurs n’est pas excessive, sachant qu’elle correspond à 311 jours par an et par coopérative. Un comité des rémunérations existe déjà dans de nombreuses coopératives. Mais ne le rendons pas obligatoire : laissons les conseils d’administration prendre leurs responsabilités.”
“Chaque fois qu’une structure croît, elle est confrontée à des problèmes de gouvernance. La montée en compétence des administrateurs est indispensable pour qu’ils puissent « challenger » le directeur général. Quand le politique est défaillant, la technostructure prend le pouvoir. Idem dans les coopératives !”, conclut le ministre.